Un peu de bleu dans le paysage Le Pont de Bonnel
Pierre Bergounioux, Un peu de bleu dans le paysage, Éditions Verdier, 2001, p. 8-9.
Le pont de Bonnel
L’endroit où j’ai fait les expériences cardinales s’apparentait à un creux d’un kilomètre, à peu près, de diamètre, qu’un pouce renversé, comme au cirque de Rome, aurait imprimé dans le grès ocre vers le permo-carbonifère. Nous étions cernés de collines dont le faîte bornait partout l’horizon. Il n’y avait d’ouverture qu’en ouest, vers la mer,
où la rivière fuyait. Au nord, on butait aussitôt sur l’âpre escarpement du Limousin, la vieille échine bossuée, granitique, au pelage d’ajoncs, de fougères, de genêts. Il fallait peiner beaucoup pour gravir l’épaulement méridional, franchir de fortes rampes avant de s’enfoncer vers la sud où nous avions notre penchant, avec les esplanades calcaires et l’accent chantonnant, la sécheresse et la chaleur, le tabac, la tuile ronde et la vigne, le maïs, l’éclat riant du midi. Le monde, alors, quand j’y songe, affectait une forme régulière, très étroite, digitée. Entièrement atrophié vers le septentrion, il mordait d’une dizaine de lieux, environ, sur les terrasses du Quercy, se diluait, au couchant, dans la plaine aquitaine et finissait, de très abrupte façon, du côté auquel, formellement du moins, nous étions rattachés, en est, où s’étirait en s’élevant le reste du département.L’enfance est mystère, et doublement lorsque l’univers auquel on s’éveille est celui, agraire, fermé, millénaire qui a subsisté à l’écart du mouvement, de l’échange, de la modernité jusqu’au milieu de ce siècle et quelque peu au-delà, parfois, par endroits.
L’œuvre et le territoire
Natif de Brive, ville grise dans laquelle Pierre Bergounioux se sent enfermé, il oscille entre le sombre du Limousin et le clair du calcaire du Lot dont il est originaire. Le pont de Bonnel marque pour lui cette frontière symbolique.
À propos de Un peu de bleu dans le paysage
Au début de la Gaule romaine à la fin du deuxième millénaire, la zone imprécise, plissée, qui sépare l’Auvergne de l’Aquitaine a vécu séparée. De là les sombres permanences, les bizarreries, les particularités qu’on pouvait, tout récemment encore, y observer. Lorsque le mouvement, le présent, l’ont tirée du sommeil, elle n’a pas hésité. Elle s’est retirée sans bruit, les yeux ouverts, dans le passé.
(Éditions Verdier)
Localisation
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