Le Prieur des pénitents rouges L’impatience...
Élie Berthet, Le Prieur des pénitents rouges, E. Dentu, 1877, p. 264-265.
L’impatience commençait à gagner cette troupe de gens qui étaient là sur leurs jambes depuis l’aube du jour, quand tout à coup le son de la grosse cloche de Saint-Michel se fit entendre ; le condamné sortait de la prison pour se rendre au lieu du supplice. Un frémissement de terreur parcourut la foule ; tous les yeux se tournèrent spontanément vers la rue par laquelle devait déboucher le cortège ; quelques femmes se signèrent ; puis, on se mit à écouler le son lent et solennel de la cloche qui ne devait cesser qu’avec la vie du condamné.
L’attente ne fut pas longue, la distance qui sépare la place des Bancs de l’ancien palais de justice étant à peine de quelques centaines de pas. Bientôt tous les cols se tendirent, tous les spectateurs se levèrent sur la pointe des pieds, et mille voix répétèrent dans le langage du pays : lou véqui (le voici).
En effet, la tête du cortège tournait en ce moment l’angle de la rue. La foule reculait avec vivacité devant les cavaliers qui ouvraient passage.
Après les cavaliers, parut le greffier en robe noire et la confrérie entière des pénitents, qui jouait un rôle si important dans cette circonstance. Ils marchaient sur deux files, recouverts de leur effrayant costume, que rendaient plus terrible encore les deux trous faits à leur capuce rouge, et au travers desquels on voyait briller leurs yeux. Un confrère portait, pieds nus et en grande dévotion, une vaste croix d’argent couverte d’un long voile de satin rouge broché d’or, dont deux petits pénitents, les pieds nus aussi, tenaient chaque extrémité. Ils avaient tous à la main un grand cierge allumé et chantaient d’un ton lent, monotone, d’un ton qui n’appartient peut-être qu’aux pénitents limousins, le De Profundis et le Libera.
L’œuvre et le territoire
Après que les cloches de Saint-Michel-des-Lions se sont fait entendre, le condamné rejoint depuis la proche prison la place des Bancs, accompagné d’un cortège au sein duquel les pénitents rouges ne manquent pas de se faire remarquer, « recouverts de leur effrayant costume, que rendaient plus terrible encore les deux trous faits à leur capuce rouge, et au travers desquels on voyait briller leurs yeux ».
À propos de Le Prieur des pénitents rouges
Avec ce feuilleton que l’on pourrait qualifier de fable à la morale quelque peu discutable mais à l’ironie certaine, Élie Berthet donne à voir le Limoges du milieu du XVIIIe siècle et plus particulièrement cette place du marché, la place des Bancs, où est dressée la potence.
Publié dans Le Siècle en 1839, Le Prieur des pénitents rouges met en scène Jean-Baptiste Moranges, marchand bourgeois de la ville, prieur des pénitents rouges, ordre chargé d’assister les condamnés à mort, de les accompagner au lieu du supplice et de s’occuper de leur dépouille et qui pouvait également les sauver. C’est justement de cette « fonction » dont va bénéficier un « pauvre jeune homme » condamné pour un vol avec effraction qui a su toucher le prieur.
Localisation
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