La Révolution volume 1 : L’Amour et le Temps C’est que l’hiver...
Robert Margerit, L’Amour et le Temps suivi de Les Autels de la peur, Phébus, 2010. p. 85-86.
C’est que l’hiver, revenu après le dégel, faisait des ravages dans les quartiers populaires, parmi les constructions en torchis. L’eau de fonte, coulant des toits, des gouttières, s’était introduite dans les craquelures des vieux bois croisillonnant les murs de terre et de paille hachée. Depuis, elle n’avait pas eu le temps de s’évaporer. Elle gelait de nouveau, là. On entendait ces poutrelles se fendre sous sa force d’expansion, avec des craquements soudains et secs comme des coups de fusil. En outre, ces eaux avaient traversé en abondance le sol ameubli après le travail du gel. À l’abri de celui-ci maintenant, elles s’infiltraient, se rassemblaient, inondant la véritable ruche souterraine forée jadis sous les habitations, dans la butte du « Château », au temps où l’enceinte des remparts laissait peu de place pour édifier entrepôts et réserves. Au lieu de bâtir, on creusait. C’était une ville sous la ville : tout un dédale d’excavations taillées dans la tuf à des niveaux souvent superposés, desservies par un réseau d’escaliers, de couloirs en pente. On en connaissait certaines parties parce que des caves ordinaires communiquaient avec quelques unes de ces salles servant toujours, comme magasins, à des boutiques. D’autres avaient été effondrées ou comblées lors de démolitions et de reconstructions récentes. C’était là l’étage supérieur seulement ; au-dessous, bien au-dessous, dans la ténèbre et le silence de la terre, existaient d’autres galeries, d’autres salles dont on ignorait tout. On savait simplement, par certains murmures dans le sol aux périodes de grandes pluies, et par certains dégorgements dans le ruisseau d’Enjoumart comme dans celui des Tanneries, au bas de la « Cité », que, tout au fond de ce mystérieux labyrinthe, des eaux provenant du haut de la ville s’écoulaient. Elles ne le pouvaient plus en ce moment, elles se heurtaient à l’épaisseur de la glace qui bloquait leurs résurgences. Leur niveau devait monter, le flot envahir d’autres couloirs, d’autres excavations, cherchant issue. Sans doute des parois de tuf cédaient-elles sous cette poussée, car on entendait de sourds effondrements, des bruits de cascades. Le sol frémissait parfois. Dans le quartier Manigne, où habitait Bernard, dans celui du Verdurier, la rue des Taules ou la rue Cruchadou, dite aussi Cruche-d’Or, bien des gens, recroquevillés dans l’étroite chaleur de leur lit, passaient la nuit sur le qui-vive à écouter cette inquiétante rumeur. Les femmes tremblaient d’une crainte superstitieuse. Le risque très réel, c’était que des maisons s’écroulassent, les fondations emportées par ce mouvement d’eau.
À propos de L’Amour et le Temps
Trois personnages se lancent dans l’existence en cet automne de 1788 — et se heurtent déjà à une réalité qui les blesse. Bernard Delmay, modeste mercier de Limoges, doit renoncer, pour de basses raisons de convenances sociales, à la jeune fille qu’il aime. Lise Dupré, promise à Bernard, se voit contrainte, pour complaire à son père, d’épouser Claude Mounier, jeune avocat ambitieux acquis aux idées nouvelles. Claude enfin, élu aux États-Généraux, gagne la capitale où bien des déconvenues l’attendent...
Le roman commence en Limousin :
En tout cas, il conviendrait encore de débuter à Limoges. C’est en province que se sont formés les futurs grands hommes de la Révolution. En vérité, un roman de cette sorte devrait peut-être commencer à Vizille puisque la toute première assemblée prérévolutionnaire se tint là. Mais la documentation me fait défaut. La seule province dont je connaisse l’histoire assez minutieusement pour pouvoir la vivre plume en main, c’est la généralité de Limoges. Cette histoire, j’ai mis vingt ans à la posséder. S’il me fallait aujourd’hui apprendre celle du Dauphiné !
Localisation
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