Y a pas d’bon Dieu Au cours de cette journée...
Jean Anglade, Y a pas d’bon Dieu, Presses de la Cité, 1993, p. 251 et 264.
Au cours de cette journée du 18, des milliers de bolcheviques firent leur reddition.
— Combien avez-vous de morts ? leur demanda-t-on.
— Des centaines.
— Qu’en avez-vous fait ?
— On les a enterrés dans les tranchées qui ne servaient à rien. Et d’autres dans le bois de Feuilladoux.
— Avec quels cercueils ?
— Sans cercueils. On les a saupoudrés de chaux vive.
Les vaincus furent ajoutés au troupeau qui attendait dans le pâturage, au sud de La Courtine, autour de Larfeuille.[...]
Dans les pâtures de Larfeuille, il arrivait à tout moment de nouveaux mutins capturés, encadrés de lanciers, de fantassins ou de gendarmes français. Car ils avaient contre eux, semblait-il, la réprobation de l’univers et de La Courtine réunis. [...] Vinrent des gradés munis de listes qui demandèrent à voir les livrets militaires. Ou la gourmette d’identité que chacun portait au poignet gauche, si bien scellée qu’on ne pouvait s’en défaire qu’avec des pinces coupantes. Ce triage aboutit à la formation de trois catégories :
- les plus coupables, les fanatiques, ceux qui, retranchés dans le mess, avaient tiraillé jusqu’à la dernière nuit : exactement quatre-vingt-deux ;
- ceux qui s’étaient rendus dans la journée du 19 : au nombre de plusieurs centaines !
- ceux qui s’étaient rendus auparavant, les mous : plus de huit mille.
On fit le total, on compara les chiffres : il en manquait huit cent cinquante-deux. Où étaient-ils ? Morts ? Blessés ? Contumax ? On ramassa deux ou trois centaines de cadavres, plus ou moins déchiquetés. Après avoir rassemblé leurs débris dans les cercueils de bois bruni, on les enterra dans un terrain vague, sans croix, sans signe distinctif, comme des chiens crevés. Il en manquait encore.
L’œuvre et le territoire
Ces extraits rendent compte de la répression de la mutinerie des Russes orchestrée par l’armée française en septembre 1917. Les chiffres du bilan officiel (moins de dix morts) ont longtemps été contestés, comme l’accrédite ici le roman, et sont au fil du XXe siècle sujets d’interprétations variées.
Pierre Poitevin évoque ces éléments :
Quelles furent les pertes du côté des mutins ? Si l’on interroge les habitants de La Courtine, les uns parlent de plusieurs milliers de morts, les autres de quelques centaines.
Si l’on demande où ils ont été enterrés, on vous répond qu’ils furent enfouis anonymement dans quelques coins déserts du camp et notamment dans le bois de Feuilladoux.
Certaines personnes disent encore qu’elles virent passer des convois de wagons de chaux vive destinée à combler les fosses où les cadavres furent alignés.
Il semble bien que tout cela soit de la légende.
À propos de Y a pas d’bon Dieu
Ce roman, qui se veut inspiré de faits historiques, raconte l’histoire de Jeanne, enfant trouvée, recueillie par un curé du plateau de Millevaches, qui devient servante dans un hôtel de Sornac, en Corrèze. Un jour, un coiffeur de La Courtine la demande en mariage, sans que cela suscite son enthousiasme...
Elle se dégagea et le quitta, lui lançant un regard soupçonneux. Elle se demanda s’il ne méditait pas de l’embaucher dans sa boutique, à La Courtine, qui avait mauvaise réputation à cause d’un dicton : Qui va à La Courtine, mal y dîne.
Sans illusions, elle accepte sa proposition et part pour ce vieux petit bourg
. C’est à cette époque que de nombreux soldats russes, échauffés par la Révolution bolchévique dont on craint voir les idéaux prospérer parmi l’armée française, sont éloignés du front et envoyés en Creuse. Le destin de Jeanne rencontre alors celui d’un des meneurs de la mutinerie de la Courtine.
Dans son récit documenté de l’événement, le journaliste Pierre Poitevin évoque cette histoire :
Avec les derniers mutins, leur chef Globa est arrêté par trois lanciers loyalistes, loin du camp, sur la route de Saint-Setiers, alors qu’il tentait de s’enfuir avec quelques autres membres du Soviet. Sous bonne escorte, il est conduit à La Courtine, en passant par Sornac. Il n’opposa pas de résistance. Mais quelle ne fut pas la surprise des personnes présentes de voir dans la petite troupe des prisonniers une femme française. Cette dernière, bien connue à La Courtine, était mariée et son mari combattait sur le front. Dès avant la bataille, elle avait été rejoindre Globa dans le camp et elle partageait sa vie. Lorsque le meneur fut pris, en arrivant à La Courtine, par un chemin dérobé, elle regagna son domicile.
Localisation
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